★★★☆☆
THE SUBSTANCE
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CORALIE FARGEAT
RÉSUMÉ :
INFOS TECHNIQUES
PRODUCTION
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ALLER PLUS LOIN...
Le désespoir de la vieille – Baudelaire
La petite vieille ratatinée se sentit toute réjouie en voyant ce joli enfant à qui chacun faisait fête, à qui tout le monde voulait plaire ; ce joli être, si fragile comme elle, la petite vieille, et, comme elle aussi, sans dents et sans cheveux.
Et elle s’approcha de lui, voulant lui faire des risettes et des mines agréables.
Mais l’enfant épouvanté se débattait sous les caresses de la bonne femme décrépite, et remplissait la maison de ses glapissements.
Alors la bonne vieille se retira dans sa solitude éternelle, et elle pleurait dans un coin, se disant : — « Ah ! pour nous, malheureuses vieilles femelles, l’âge est passé de plaire, même aux innocents ; et nous faisons horreur aux petits enfants que nous voulons aimer ! »
Charles Baudelaire, Petits poèmes en prose, 1869

Par Kevin Kozh n’air
Note globale : 3/5
J’ai un problème avec les aiguilles, le visionnage a donc été très difficile pour moi. J’y suis allé un peu reculons, mais vu le bruit qu’il a fait, je ne pouvais pas y échapper !
On y suit le destin tragique d’Elisabeth Sparkle, ancienne animatrice d’une émission de gymnastique à destination des femmes qui veulent se remettre en forme, et un peu pour vieux gars qui veulent se rincer l’œil. Elle se fait mettre à la porte gentiment, donc violemment à cause de son âge. Elle est contactée par une entreprise secrète qui a développé the substance, un produit qui permet de créer un double de soi, plus jeune, plus beau et plus parfait. Mais il y a des règles à respecter, Elisabeth ne peut pas rester dans son deuxième corps amélioré plus de sept jours, il faut qu’elle alterne avec sept jours dans son corps normal pour qu’elle puisse reprendre des forces. Et c’est précisément là que les choses se compliquent : elle qui redécouvre le regard des autres sur elle, le monde qui “se plie à ses pieds”, la forme et toute la fougue de la jeunesse, va-t-elle réussir à respecter la règle des sept jours, à retourner dans son corps dont elle voue désormais une haine viscéral ? Héhé, vous vous doutez bien que non, mais voyons voir le traitement qui en est fait.
En mode spoiler, tension les filles 😉
(J’espère que vous avez la réf parce que ça va être turbo cringe sinon)

Comme vous l’aurez compris, c’est le portrait de Dorian gray réactualisé, à la croisée des chemins entre Dr Jekyll et Mister Hyde et Faust. Le fait que ça ne soit pas un scénario très original n’est pas un problème en soit (bon, le prix du meilleur scénario à Cannes ? faut peut être pas abuser non plus), comme on le dit souvent, toutes les histoires ont été racontées, ce qui compte c’est la manière de faire. Le problème de Coralie Fargeat, la réalisatrice du film, c’est que ce n’est pas sa manière à elle, mais celle d’une dizaine d’autres réalisateurs qu’elle copie, parfois plan par plan.
Le nombre incalculable de références laisse à croire que Coralie Fargeat avait du mal à trouver sa marque esthétique. C’est normal de s’influencer mutuellement entre créateurs, de se piquer des trucs. La dessus je vous partage une interview de Christopher Ganz par Azz L’épouvantail, qui parle des réalisateurs qui s’influencent (et ceux qui volent !), dans le contexte de son prochain film Silent Hill. Mais ici dans The Substance, c’est un copier coller de trop nombreuses séquences sans en donner le moindre sens.
Quand on se retrouve à compter les réfs, ça nous sort du film…

Je me suis demandé pourquoi ici la mayonnaise ne prend pas, Coralie Fargeat n’est pourtant pas la première à caler des réfs en pagaille. Je vais développer mon raisonnement mais j’ai identifié 3 principales raisons :
– Leur nombre : Philippe Etchebest disait un jour dans cauchemar en cuisine : “plus il y a de plats au menu, plus c’est de la merde”. Je serais tenté de dire que pour le cinéma c’est la même chose, quand on veut reprendre l’esthétique de 50 films différents, ça va être un sacré bordel pour y mettre de la cohérence.
– Leur utilisation : Il y a la bonne et la mauvaise réf (ceux qui ont celle-ci, force à vous, vous avez plus de 30 ans). Il y à caler une réf juste comme ça pour la beauté du geste, ou mettre une réf de façon réappropriée par l’auteur et cohérente par rapport à l’ensemble de l’œuvre. Je vais prendre l’exemple de Joker. Il y a clairement une inspiration globale : l’univers de Martin Scorsese des années 70’s. La scène où Arthur Fleck se précipite dans des toilettes publiques lugubres après avoir commis ses trois premiers meurtres, celui-ci est en pleine montée d’adrénaline et de stress, quand tout à un coup, un premier pas de danse, puis le voilà qui virevolte, la musique de Hildur Guðnadóttir est à couper le souffle, la danse devient une catharsis pour Arthur, qui finit par se regarder devant le miroir. La référence à cette scène cultissime avec Robert De Niro dans sa salle de bain dans Taxi Driver est évidente, pourtant, c’est totalement différent. C’est tellement plus intéressant que de montrer littéralement et avec feignantise Elephant man puis la Mouche de Cronenberg juste derrière en mode, allez hop, démerdez-vous.
– Le choix des réf : Celui la il va de pair avec le nombre. ce qui m’a mis à terre pendant le visionnage, c’est le choix absolument pas subtile de certaines références, Fargeat a mis des références qui sont littéralement l’identité des films en question. Elle n’a pas choisi des petits plans discrétos, non non, elle va mettre exactement le même petit clip de la piqûre que dans Requiem for a dream, les mêmes lèvres roses et shiny de gloss que Debbie Harry dans Vidéodrome, etc. J’ai parlé juste avant des créatures emblématiques de Lynch et Cronenberg, mais il y a aussi tous les plans mythiques de Shining et L’odyssée de l’espace. Vous avez clignez des yeux ? Vous êtes passés à côté ? Attendez, juste au cas où je vous rajoute la BO de l’odyssée de l’espace à la fin, probablement la musique de film la plus connue de l‘histoire du cinéma, sur une scène intégralement volée à Carrie, le bal du diable, tant qu’on y est.
J’ai vu beaucoup de gens qui s’amusaient à compter les milliers de “clin d’œil” à d’autres films, donc je ne vais pas faire une liste exhaustive ici. Mais j’ai été de étonné de voir qu’il en manque toujours une, totalement gratuite et qui se connecte à rien, celle de Massacre à tronçonneuse, dans cette séquence sombre qui fait très rétro/slasher. On y aperçoit Elisabeth qui a commencé sa métamorphose monstrueuse en train de transformer son appartement en atelier de cuisine immonde. Elle prépare des plats pour rendre Sue malade, dans l’obscurité de sa cuisine, et tout un coup elle brandit la machine un batteur à oeufs en l’air, on ne distingue que sa silhouette avec ses cheveux blancs hirsutes, gros zoom vintage sur elle avec le bruit d’une tronçonneuse.

Bon, si on est honnête, il y a quand même quelques séquences qui marchent bien, celles avec un Dennis Quaid immonde, mis en scène par des plan serrés peu flatteurs, notamment quand il mange comme un porc, même si on ne va pas se mentir, la plupart des ses apparitions sont calquées sur celles du présentateur machiavélique dans Requiem for a dream. Le rendre dégoûtant sert sans doute à écoeurer le spectateur, montrer qu’il est aussi abjecte à l’extérieur qu’en dedans. Cela combiné à la surexposition suintante et dégoulinante d’images ultra sexualisées de Sue rend le film difficile à regarder…
Mais ne m’y prenez pas, j’ai bien compris que montrer ces images très sexualisées, presque pornographiques et gores a pour but de brusquer le spectateur, qui se retrouve avec toute la monstruosité de la nature humaine dans la face. Mais tout de même, je trouve qu’il y avait des moyens beaucoup plus percutants pour dénoncer notre cynisme vis à vis de la beauté, alors que le temps nous en éloigne toujours plus. Je pense notamment à Requiem For a dream, dont la “substance” (vous l’avez ? 😉 ) a été pompée jusqu’à la moëlle. Loin d’être aussi gore, il avait le ton juste et a traumatisé toute une génération. La descente aux enfers des différents protagonistes est magistrale, là où The substance en fait des caisses et des caisses.
Et ceux qui me disent que le côté trash et la surenchère de références est une mise en abîme de la laideur du personnage qui se monstruosifie au fur et à mesure, c’est un non. Le foutage de gueule a ses limites que les limites ignorent !

Pour terminer sur une note positive, j’ai trouvé ça quand même intéressant de voir comment Elisabeth commence à développer une haine schizophrénique envers Sue. Elle se met à faire des actes de malveillance à son égard, puis finalement le regrette et continue l’expérience.
Margaret Halley est bluffante, comme d’habitude, et la prestation de Demie Moore est excellente ! La mise en scène de son vieillissement est réussi, bien sûr avant que ça bascule dans le grotesque. J’ai notamment beaucoup aimé ce plan qui a priori me semble pas volé (chose rare dans ce film) où elle est dans un bar chic mais seule, l’ambiance est sombre, sa robe laisse découvrir son dos nue et le maquillage lui donne un aspect monstrueux. Cela me rappelle le Désespoir de la vieille de Baudelaire.
Et je me dis, ça ne doit pas forcément être évident pour elle de jouer un tel rôle, de se mettre à nu (littéralement) pour jouer un personnage qui va être montré de la façon la plus ignoble qui soit, alors qu’il y a clairement des parallèles avec sa vie. Je pense aux femmes actrices dans le cinéma dont les propositions de rôles intéressants se font de plus en plus rares au fur et à mesure qu’elles prennent de l’âge. Bon j’espère que cette réflexion n’est pas problématique, faites le moi savoir si c’est le cas. Ce que je voulais dire, c’est que le cinéma a besoin d’un gros coup de pied dans la fourmilière à ce niveau, ce que fait The Substance, d’une façon pas subtile, certes, mais l’intention est là tout de même.
Et c’est quand même cool de voir un film de genre récompensé aux Césars, après la Palme d’Or de Julia Ducournau avec Titane !
Je vous recommande un autre film de Coralie Fargeat, Revenge. Je ne l’ai pas encore vu, mais j’ai quelques amies sensibles aux questionnements liés au féminisme et la place des femmes dans le cinéma qui l’ont validé. On m’a dit que c’était un équivalent de I split on your grave, mais sans le mâle gaze !
