I Saw the TV glow / Jane Schoebrun

Par Kevin Kozh n’air • 2 mars 2025
Note globale : 4/5
Un visionnage tardif
Après avoir vu passer de nombreux commentaires et articles sur I Saw the TV Glow, on s’est laissé tenter par ce long métrage qui semble avoir marqué au fer rouge le cinéma horrifique de 2024.
Et pourtant les conditions de visionnage n’étaient pas des meilleures. Après avoir terminé l’incroyable série Bref.2, il est à la fois trop tôt pour dormir et trop tard pour se lancer une nouvelle série. C’est donc tout fatigué mais téméraire qu’on se jette dans l’univers onirique, puissant et coloré de Jane Schoenbrun.
Le premier plan annonce du lourd, un lent travelling remonte la rue d’un quartier pavillonnaire américain, le soir tombe et couvre l’endroit une voile bleuté, des graffitis roses pétant au sol rappellent les jeux d’enfant qui ont probablement eu lieu la journée. On commence à apercevoir au bout de la rue un camion de glace avec sa petite musique inquiétante. La séquence se termine à l’intérieur d’une des maisons sur un ado assis, quasi hypnotisé par l’écran qui projette The Pink Opaque, une série qui rendra tous les fans de Buffy The Vampire Slayer nostalgiques. L’introduction parvient à planter un décor qui nous rappelle A Nightmare on Elm Street ou It Follows : ok on est bien chez les fous, ça va être cool !
Coucou Donnie Darko
Le film se déroule dans les années 90 et suit Owen, un adolescent paumé qui, lors d’une fête de fin d’année, fait la rencontre de Maddy, une gothique weirdo et solitaire, de quelques années son aînée. Fasciné par son univers, il plonge peu à peu dans sa vision du monde et partage bientôt son obsession pour The Pink Opaque. Deux ans plus tard, ils se retrouvent. Owen a visionné toutes les cassettes que Maddy lui avait enregistrées. C’est l’occasion pour eux de s’interroger sur qui ils sont, sur leur identité, sur les représentations véhiculées par la série. Ensemble, ils partagent ce sentiment de décalage, cette impression de ne pas appartenir à la normalité, ainsi que leurs inquiétudes sur leur avenir.
Lorsqu’ils s’installent chez Maddy pour revoir leur show préféré, la frontière entre fiction et réalité s’efface peu à peu. Pourquoi les monstres affrontés par les Pink Opaques ressemblent-ils étrangement à leurs proches ? Et surtout, qui est vraiment leur chef, l’énigmatique Monsieur Mélancolie ?
Est ce ce ça vaut le coup ?
Malgré la fatigue lors de mon visionnage, j’ai été suffisamment hypnotisé et envoûté par ce film onirique qui regorge de symbole et de mystère pour vouloir en découvrir la signification, et lutter contre mes paupières tombantes.
Ce film va clairement divisé, c’est un OFNI, comme on aime ici, qui change des films d’horreur classiques, ne serait-ce que par la lenteur de son rythme : ici pas d’hémoglobine, pas de combats épiques ni de climax vertigineux, pas de prophétie d’une vieille femme aveugle qui parle en latin ni de prêtres possédés par Satan. Les multiples mystères, à la fois sur la forme et sur le fond, peuvent être déroutants. Et quand je vois les retours critiques des spectateurs, je ne peux m’empêcher d’être déçu, déçu que le film n’ait pas trouver son public et se fasse injustement défoncer.
Certes il peut y avoir certaines redondances et un léger affaiblissement vers la fin, mais le film offre des propositions intelligentes et puise dans un imaginaire terrifiant qui fait sens, et dont je parlerai plus bas. Les acteurs sont également très bons, j’ai été particulièrement séduit par la voix lourde et blasée de Justice Smith, son personnage me faisait beaucoup penser à celui de Donnie Darko. Jack Haven insuffle à Maddy une aura troublante, celle d’une ado qui se cherche comme tous les ados, mais un truc se passe au niveau du regard, et qui me fait penser à Anna Hathaway par ailleurs, un regard qui donne l’impression que le monde pourrait s’écrouler d’un instant à l’autre.
Je vais maintenant parler de mon interprétation du film et de la richesse de ses idées. Attention, SPOILER !
Le moment où tout a basculé
Le film qui commençait sur un coming-out of age classique, avec des allures de Ham On Rye de Tyler Taormina (foncez le voir les Peter Weir zouz, ce film est trop injustement méconnu) devient une véritable mind fuck au moment où on aperçoit enfin Monsieur Mélancolie, sur un très beau plan serré avec un grain VHS qui en dévoile juste un peu mais pas trop. On apercevait brièvement son visage dans la lune, un clin d’œil pas dissimulé du tout à Voyage dans la Lune de Méliès dans un plan sympa qui avait déjà son lot de surprises. Mais Monsieur Mélancolie n’est pas une abstraction lunaire, il est là, en chair et en os, magnifique et terrifiant, le visage constellé de cratères lunaires en perpétuel mouvement. Dans sa main luit une arme, non… une boule à neige ?

“Ne résiste pas…tu vas aimer le royaume de minuit, c’est une si merveilleuse prison”
Cette scène cauchemardesque surgit de manière inattendue. Quand vous êtes sur le point de vous endormir et que vous tombez sur ça, le réveil est garanti. Son discours n’est pas celui du bad guy habituel. Son dessein ? Insuffler aux héroïnes le poison de la réalité et l’oubli d’elles-mêmes. On découvre alors qu’Owen et Maddy pourraient être les anciennes membres de Pink Opaque, leur mémoire effacée, ramenée à une réalité triste et banale. Monsieur Mélancolie serait l’allégorie du monde réel, du poids des responsabilités et la fin de l’insouciance à laquelle tous les adolescents finissent par succomber un jour.
Les deux héros luttent pour ne pas être engloutis par la mélancolie de l’existence. D’ailleurs, les plans du lycée et ceux où ils regardent la série sont baignés de couleurs vives, contrastant avec la scène d’apparition de Monsieur Mélancolie, plongée dans une obscurité dévorante. Les teintes éclatantes de l’enfance s’effacent alors pour laisser place à un bleu nuit cauchemardesque.
La boule de neige secouée fait écho à l’un des premiers plans du film, où Owen, perdu sous une grande toile circulaire formant un dôme pour les enfants, semble basculer hors de l’enfance. Le monde des adultes est terrifiant : sa mère, mourante d’un cancer, son père absent, et un beau-père dont la présence imposante et désabusée (on l’aperçoit lui aussi dans la pénombre, éclairement uniquement par la lumière de la télé dans un plan qui me rappelle Blue Velvet) semble l’effrayer. Pourtant, une scène m’a particulièrement touchée : lorsqu’il empêche Owen de vouloir entrer dans la télévision. Comme s’il refusait qu’il emprunte le même chemin que lui. Du côté de Maddy, les parents brillent également par leur absence.
Guide de survie face à la vacuité de l’existence
Face à la découverte de la vérité derrière le TV show, les chemins de nos protagonistes se séparent. Alors que Owen se résigne à la morne réalité, trouver un job alimentaire et tenter de vivre comme disait Valéry, Maddy choisit la fugue et la révolte chère à Camus. Peut être la fin est un peu poussive, et voyeuriste dans son traitement de la souffrance de Owen. On retrouve cette étrange scène de fin où Owen, serveur-animateur dans un restaurant, apparaît vieilli, insignifiant, presque invisible, alors que ses collègues, eux, semblent n’avoir pas pris une ride. Lors d’un goûter d’anniversaire, l’ambiance est festive : tout le monde se donne à fond la caisse pour offrir au petit Charlie un moment inoubliable. Mais soudain, l’atmosphère se fige lorsque Owen, pris d’une crise d’angoisse, hurle qu’il va mourir. Alors qu’il tente de se reprendre et de s’excuser, le temps s’arrête. Littéralement. Les invités, les enfants, ses collègues : tous restent figés, comme suspendus, parfois dans des positions grotesques.
Après un tel breakdown en public, que feriez-vous ?
A : Prendre la fuite et ne jamais remettre les pieds ici ?
B : Se réfugier dans les toilettes pour s’ouvrir le thorax, à la recherche de votre enfance perdue ?
Bien évidemment, Owen choisit la deuxième option. Et comme si ce n’était pas déjà suffisamment pathétique, le film se clôt brutalement sur son retour dans la salle de fête, bredouillant des excuses… alors que plus personne ne semble le voir.
Pour conclure…
Ce film m’a beaucoup touché, malgré un état de fatigue sévère et une fin qui se perd un peu dans son propos. Je me suis reconnu dans ces personnages et ce qu’ils traversent. J’ai repensé à mon moi enfant, happé par des séries comme Charmed, Buffy contre les vampires (team Spike ici !) ou Stargate SG-1. M’y réfugier était une façon d’échapper à l’ennui (petit gars de la campagne), et parfois même au réel… Avec mes cousines, nous refaisions les intrigues de nos séries et nous inventions des super-pouvoirs, nous combattions des démons invisibles… C’était le bon vieux temps de l’insouciance ! Et puis, peu à peu, on a grandi, pas toujours à la même vitesse, j’étais ce genre de gamin de14 ans qui continuait à joueur aux legos quand ses camarades d’école avaient tous leur premières copines ! (la thématique des enfants qui ne grandissent pas à la même vitesse avait été particulièrement bien traitée dans la 2éme saison de Stranger Things, avec le personnage de Will).
Un autre aspect que j’ai apprécié est l’esthétique lynchienne du film. Souvent imitée, rarement maîtrisée, elle fonctionne ici à merveille. Cette temporalité flottante, à la fois dérangeante et insaisissable, ces plans qui puisent directement dans l’iconographie de Lynch : La télévision qui brûle dans le jardin d’Owen m’a immédiatement évoqué la maison qui part en fumée dans le noir de Lost Highway, tandis que l’Homme-Glace, terrifiant, semble surgir d’un croisement malsain entre Elephant Man et Eraserhead.
Si vous désirez aller plus loin dans l’analyse des symboles du film, je vous recommande l’excellente vidéo de Lucas Blue.
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Petite présentation
Cinéphile invétéré, je traîne mes yeux avides de frissons dans les recoins les plus sombres du septième art, explorant sans relâche les méandres du cinéma d’horreur. De Carpenter à Aster, des gialli hypnotiques aux found footage les plus poisseux, je traque ce qui fait vibrer l’échine et questionne nos peurs primitives. Sur Letterboxd, je consigne mes errances cinématographiques, décortiquant chaque œuvre avec la curiosité d’un entomologiste face à une créature inconnue.
Mais l’écran ne suffit pas : passionné de science-fiction littéraire, je me nourris des visions prophétiques de Dick, Lem ou Le Guin, fascinés par la nature humaine et ses dérives. Entre cauchemars cinématographiques et extrapolations dystopiques, je cherche à comprendre ce que ces récits disent de nous, de nos peurs et de notre avenir.

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